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Page:NRF 19.djvu/650

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648 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Et :

Les grands vents vernis d'outre-mer Passent par la Ville, l'hiver, Comme des étrangers amers...

Et ces deux vers enfin qui tombèrent en nous comme une lente pierre dans une eau troublée :

Pauvre âme,

Ombre de la tour morne aux murs d'obsidiane !

Nous nous étions déjà penchés sur des textes admi- rables ; nous y avions senti par instants palpiter quelque chose de tendre et d'exquis ; mais la gangue scolaire qui les entourait, emprisonnait aussi leur sortilège.

Et puis ni Racine, ni Rousseau, ni Chateaubriand, ni même Flaubert ne s'adressaient à nous, jeunes gens de 1903 ; ils parlaient à l'humanité universelle ; ils n'avaient pas cette voix comme à l'avance dirigée vers notre cœur, que tout à coup Henri de Régnier nous fit en- tendre.

Nous tombions, sans avoir même su qu'il en existât de tels, sur des mots choisis exprès pour nous et qui non seulement caressaient nommément notre sensibilité, mais encore nous révélaient à nous-mêmes. Quelque chose d'inconnu, en effet, était atteint dans nos âmes ; une harpe que nous ne soupçonnions pas en nous s'éveillait, répon- dait ; ses vibrations nous emplissaient. Nous n'écoutions plus le sens des phrases ; nous retentissions seulement, devenus tout entiers harmoniques.

Je regardais Fournier sur son banc; il écoutait profon- dément ; plusieurs fois nous échangeâmes des regards brillants d'émotion. A la fin de la classe, nous nous pré- cipitâmes l'un vers l'autre. Les forts en thème ricanaient autour de nous, parlaient avec dédain de « loufoqueries ». Mais nous, nous étions dans l'enchantement et boule- versés d'un enthousiasme si pareil que notre amitié en fut brusquement portée à son comble.

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