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Page:NRF 19.djvu/652

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6)0 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Que n'ai-je pas dit et surtout écrit à Fournier contre Laforgue ? Il m'agaçait ; je le trouvais pleurard et pédant ; je ne comprenais rien à ses souffrances ; je ne m'en expli- quais pas la cause. Fournier le défendait avec acharne- ment et je vois bien maintenant tout ce qu'il découvrait de lui-même dans le pauvre blessé des Complaintes.

« Blessé, mais amoureux, me répondait-il justement lui-même dans une des nombreuses apologies qu'il me lit de son héros x , blessé mais orgueilleux. Blessé, mais d'une si grande douceur de cœur. Blessé, parce que tout cela ; et ironique parce que blessé et seulement pour cela. Il n'a jamais été que le jeune homme timide (à ne pas pouvoir passer devant une « dame » sans tomber), et qui a répété toute sa vie :

Oh ! qu'une, d'elle-même, un beau soir, sût venir, Xe voyant que boire à mes lèvres et mourir. »

Fournier était tout à fait exempt de cette timidité exté- rieure et physique qu'il attribue ici à Laforgue, mais il en avait une plus secrète, à base de tendresse et d'orgueil, qui ne le paralysait pas moins. Comme Laforgue, il avait un immense besoin de la Femme, mais avant tout comme d'un calmant pour sa susceptibilité frémissante ; il ne supportait pas l'idée d'être à découvert devant elle, en butte à ses flèches, déconcerté, malmené ; une pureté et une innocence parfaites en elle étaient indispensables à la formation de son amour.

11 lui fallait l'union des âmes avant celle des corps et un certain absolu d'affection où se plonger. Toutes les exigences de Laforgue, il les reconnaissait pour siennes.

Et aussi les déceptions, car il n'était pas sans se rendre compte confusément de ce que son rêve avait d'irréa- lisable. Il en éprouvait d'avance cette même irritation désolée qu'il voyait chez Laforgue se tourner en ironie. « Ironique parce que blessé et seulement pour cela. »

i. Lettre du 22 janvier 1906.

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