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Page:NRF 19.djvu/680

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678 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

— Enfin, dit Autissier, vous ne pouvez rien dire de précis sur elle ?

— C'est encore vrai, dit Voyle. Mais c'est parce que je ne me suis jamais bien occupé de la question. Je me rappelle seulement qu'une fois...

— Moi je ne crois pas, dit Bonnin qui ne songeait déjà plus à faire fâcher Voyle, qu'elle ait jamais rien fait pour de l'argent. Mais elle a bien l'air tout de même d'une per- sonne qui a eu des aventures. Et elle a dû s'y prendre jeune. Je me souviens maintenant que le procureur racon- tait des abominations sur elle quand elle avait seize ans et des nattes dans le dos. C'est une personne que les aventures ont tentée de bonne heure.

— Est-ce qu'elle a un joli visage ? demanda Autissier.

A ce moment il y eut au premier étage de l'étroite maison des sœurs un mouvement imperceptible que per- sonne ne vit : un rideau se souleva légèrement, à peine effleuré par le bord du clair de lune. On eût pu voir dans la collerette relevée d'une chemise de nuit, une paisible figure de très jeune fille, avec une flammèche de cheveux couleur vieil or. Elle regarda posément les trois jeunes gens qui parlaient tout près d'elle, et ses regards s'arrê- tèrent sur Autissier qui restait de profil, immobile et pensif, attendant leur réponse, et qui présentait lui-même à la maison des sœurs un fort joli visage, un profil can- dide et jeune avec ses cheveux rabattus par une raie de côté, un profil de joueur de flûte et de chevrier biblique. Mais à ce mot inattendu et trop choisi de visage, les deux autres en se regardant se prirent à sourire de ce garçon trop distin- gué, puis à rire aux éclats. Autissier interdit se reprit à marcher tandis que les deux autres en le suivant répétaient avec amusement ce mot de visage. La lune de nouveau fut cachée. Le rideau, à la fenêtre du premier étage, retomba.

Tout s'éteignit, pour ce soir-là — et pour longtemps.

ALAIK-FOURNIER

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