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-758 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

réalisaient un tel accord entre le sentiment et l'expression qu'elles touchaient au chef-d'œuvre. — Et cependant ? Une telle affirmation est inadmissible ; elle contredit toutes nos conceptions ; elle révolte notre bon sens. La candeur, la pureté, lasainteté même, nous savons qu'elles sont impuissantes à réa- liser une œuvre d'art. L'amour de la Nature ne suffit pas pour produire un travail admirable. Il n'est pas de beauté sans style ; il n'est pas de style sans métier rationnel. Ces toiles naïves pos- sèdent souvent un dessin, une mise en page extraordinairement expressifs ; une couleur sobre et riche, une matière cristalline, tout, peut-être, sauf un je ne sais quoi d'essentiel, qui nous prouverait que ces merveilles sont l'aboutissement d'une inten- tion déterminée. L'œuvre d'art est le résultat d'une série d'éli- minations, c'est un lieu commun. Mais il est deux façons d'arriver à ce dépouillement nécessaire, deux façons dont une seule compte : celle qui consiste dans un choix conscient et délibéré. L'autre qui peut quelquefois procurer des résultats presque équivalents, n'est due qu'à l'insouciance et à l'ignorance ; il n'y a plus, dans ce cas, dépouillement par choix, mais par oubli.

(A ce propos il n'est peut-être pas indifférent de dire un mot du douanier Rousseau. — Est-il, oui ou non, un peintre, ou seulement un amateur à peine supérieur aux exposants malgré eux de là Galerie Simon ? M. Maurice Raynal, qui écrivit pour cette exposition deux pages fort jolies, juge qu'on a eu tort de comparer l'art du douanier à celui des maîtres. — Ont tort évidemment ceux qui osent le comparer à Fouquet et à Memling, mais l'ont à un égal degré ceux qui le rabaissent au niveau des « Inconnus ». Il y a justement dans son art cette constance dans les moyens employés qui montre dans son effort une part de lucidité et de volonté indéniable.)

Il serait certes fort imprudent, et sot, de nier la puissance de l'instinct, et le caractère poignant et mystérieux de son apport dans l'œuvre d'art. C'est souvent à cause des choses mêmes, que l'artiste n'a pas voulu introduire dans son tableau, que celui-ci est émouvant. On peut aller jusqu'à dire que c'est la part d'irresponsabilité qui se glisse dans une œuvre qui la magni- fie, lui donne un poids caché, une vertu secrète. Un artiste qui réaliserait exactement ce qu'il avait dessein d'exécuter serait non seulement un monstre, mais littéralement un « fruit sec ». C'est

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