Aller au contenu

Page:NRF 19.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

NOTES 79

aurait toute une étude à écrire sur Jaurès paysan, et paysan des derniers contreforts du Massif central, pénétré de la grandeur simple de la vie pastorale et montagnarde, puis, plus tard, professeur à Toulouse, paysan des plaines prospères du pays garonnais.

Mais son réalisme, c'est dans une œuvre de longue haleine comme son Histoire socialiste qu'il éclate surtout. Et là ce n'est pas simplement un don réaliste foncier qui se fait admirer, c'est toute la complexité du réel que Jaurès embrasse et domine de haut sans en laisser échapper un seul détail. Les généralisations constantes de Taine, ses démonstrations géométriques ou les grandes systématisations mystiques de Michelet, ses construc- tions psychologiques sont ici jalousement évitées. C'est un modèle d'histoire concrète que celle de Jaurès. Ce prétendu rhéteur laisse parler les faits, consacre des pages et des pages à des statistiques commerciales, à des analyses de documents locaux. Rien n'est plus admirable dans ce genre que l'évocation de Bordeaux, Marseille, Nantes et Lyon à la veille de la Révo- lution. Et c'est toute son expérience de grand parlementaire que Jaurès apporte à étudier les séances de la Constituante, les motions, les discours, les manœuvres de couloirs.

C'est mal comprendre Jaurès que de vouloir le tirer vers le « robespierrisme » comme le fait M. Mathiez qui a revu cette nouvelle édition de l'Histoire socialiste. Jaurès est au-dessus du « clan Aulard » et du « clan Mathiez ». La Révolution pour lui n'a pas eu son apogée sous la dictature de Danton plutôt que sous celle de Robespierre ; elle est pour lui un tout dont il a vécu avec passion chaque moment. Le fait de voir dans cette révolu- tion bourgeoise la condition de la révolution sociale ne trouble jamais son jugement. Il est en 1788 de cœur avec la bourgeoisie productrice des négociants bordelais et des armateurs proven- çaux, puis il la détestera ; il est avec Barnave, puis il sera contre lui. Il agira de même envers Danton, envers Robespierre. Les hommes ne l'arrêtent pas, il n'est sensible qu'à l'âme de la Révolution.

Il serait juste que la publication des Pages choisies de Jaurès (en attendant ses Œuvres Complètes) et la ré-édition de son Histoire socialiste fissent entrer Jaurès dans l'histoire littéraire de la France où, malgré toutes les scories et les bavures dues aux

�� �