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Page:NRF 19.djvu/99

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d’une si puissante intuition créatrice et critique qu’on regrette qu’il n’ait pas domine et contrôlé sa matière jusqu’au bout.

Son livre, dont il a droit d’être fier, reste « à intérêt limité ». Il aurait pu être, suivant une expression de Pourrat lui-même, un « livre moniteur ».

BENJAMIN CRÉMIEUX



L’ABBAYE DE TYPHAINES, par le Comte de Gobineau (Éditions de la Nouvelle Revue Française).

Il y a quelque agrément à constater que les hommes de valeur ne peuvent jamais devenir réellement vulgaires, quels que soient le désir qu’ils en aient et la certitude qu’ils acquièrent de ne le point demeurer. L’Abbaye de Typhaines fut écrit pour les lecteurs d’Eugène Sue sans autre désir que de les satisfaire ; et l’on peut s’étonner que ce livre, malgré les plus grandes qualités d’intérêt, n’ait pas procuré à son auteur la fortune qu’il désirait en tirer. Peu de temps avant sa publication, Eugène Sue fit paraître en livraisons Les Mystères du Peuple, « récit, en 12 volumes, des aventures d’une famille plébéienne à travers l’histoire ». Gobineau connut certainement ce livre, qui eut un succès considérable. Comme les Mystères du peuple, l’Abbaye de Typhaines exprime la lutte des Celtes vaincus contre les Francs conquérants. Mais Gobineau n’avait ni la verve d’Alexandre Dumas ni l’imagination épique, volontiers cruelle et sadique, d’Eugène Sue. Les lecteurs des cabinets de lecture le jugèrent ennuyeux.

S’il n’y avait dans l’Abbaye de Typhaines que ce qui permet de rapprocher ce roman de ceux d’Eugène Sue, nous ne pourrions avoir pour lui que l’intérêt mêlé d’un peu d’ironie que nous trouvons aux poncifs anciens, et qui est assez semblable à celui que nous éprouvons devant les magasins des antiquaires. Mais alors qu’Eugène Sue, comme tous les romanciers populaires, s’apitoie sur les Celtes, Gobineau les méprise non sans quelque puérilité. Et le livre devient intéressant à un point singulier : car Gobineau, dans l’Essai ne fera que justifier les sentiments qu’il montre dans ce roman avec une relative inconscience. Non que les idées principales de l’Essai se trouvent dans l’Abbaye de Typhaines ; il n’y a pas d’idées dans l’Abbaye de Typhaines, il n’y a que des sympathies et des antipathies. Mais ces