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134 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

être débarrassé, depuis. C'est de quoi nous aurons bientôt la preuve, il faut espérer : M. Déodat de Séverac a beaucoup de musique encore à nous donner.

L. L.

��LA RHAPSODIE ESPAGNOLE DE RAVEL AUX CONCERTS-COLONNE.

Il y a une torpeur dans toute danse espagnole ; c'est l'union de la fureur et du sommeil ; les danseurs semblent toujours en train de se réveiller par leurs cris ; ils frappent du pied, ils arrondissent les bras, ils se cambrent, ils se jettent des invectives pour s'encourager: mais leur tourbillon reste inerte; tout départ s'achève en piétinement ; l'appel s'entrave dans la gorge ; les visages n'arrivent pas à s'arracher ce sérieux. — Je retrouve dans Ravel, admirablement évoquée, cette agita- tion dans l'engourdissement. Tout n'est que préludes, ritour- nelles préparatoires, exordes emphatiques ; les chanteurs se disposent à se montrer incomparables ; mais il fait trop chaud cette nuit; les cordes de la guitare éclatent. — Dans la Habanera les pas et les gestes entreprennent d'être inépui- sables ; mais bientôt, délicieusement, ils renoncent à s'inventer davantage et tournent, tournent, tout désorganisés de langueur. — Enfin la Feria (Foire) ne se compose que de brefs assauts, de tentatives furieuses mais vite consommées, de bondisse- ments esquissés, de fanfares qui surgissent, puis s'arrêtent; sans cesse la mélodie se perd dans la lourdeur qui plane, s'efface dans une chaude brume sonore faite de la confusion de tous les cris ébauchés et interrompus. — Il faut comprendre que la vertu expressive de cette musique est dans son indistinction même, dans le trouble flottement de son harmonie, dans sa suspension perpétuelle, dans sa façon d'être une atmosphère où tout s'évapore.

Cependant il me semble qu'à peindre ces confusions Ravel ne réussisse si bien que parce qu'il y utilise un défaut. Reconnaissons-lui l'indépendance qu'il revendique à l'égard de

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