Aller au contenu

Page:NRF 3.djvu/331

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

NOTES 321

vinrent en nous. Mais nous les arrachions à leur tréteau. Nous imaginions leur enfance, leur mort et leur misère.

Nous les jugeâmes, parce qu'il faut juger, parce que tu ne craignais pas de juger.

Et je vais dire maintenant, combien ta pitié est plus grande d'avoir su se fixer et connu ceux qui la méritaient.

Sur tous, sur toutes, sur les grotesques, sur les infirmes, sur les déchus, ta pitié se posa, sauf sur un.

C'était un jeune homme insignifiant et grêle, qui portait un habit noir aux manches trop larges qui marquait aux épaules le lustrage triste des vieux effets. Sans doute il avait été l'étalagiste, qui par les matins d'hiver, à la devanture d'un bazar pauvre de Belleville ou de Plaisance, se frotte les mains et tape du talon.

Il n'était pour moi que celui qui avait chanté : La maîtresse la plus jolie, Celle qu'on aime à la folie

Il était cela, simplement.

Mais toi, tu m'as dit la vérité sur lui.

— Il a l'œil de l'oiseau sur son barreau de cage. Il se croit supérieur aux autres hommes. Il fait la roue. Il s'est détaché des autres hommes.

Ainsi, j'ai compris tes jugements. J'ai compris que ta pitié pouvait aller à ce garçon de bordel qui racontait comme il est difficile de gagner sa vie, et combien sont rares les places qui vous nourrissent. Mais j'ai compris aussi ton mépris pour les jeunes bourgeois, en spasme d'arriver, pour les journalistes qui se croient des écrivains, pour les gros hommes qui heurtent un Charles-Louis Philippe, perdu dans la foule, pour les hommes d'argent, qui veulent être aimés pour eux-mêmes. Tu savais qu'on ne doit aimer ainsi que ceux qui sont eux-mêmes. J'ai compris alors pourquoi ta pitié allait à Berthe Méténier et jamais à la courtisane glorieuse des Champs-Elysées ou de la maison close.

Tu ne jugeais pas les hommes en calculant l'équilibre

�� �