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Page:NRF 3.djvu/521

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FERMINA MARQUEZ £11

qu'elle avait bien soif, elle avait suivi sa tante et sa sœur dans un café du boulevard. Elles avaient commandé des boissons glacées. Et, à l'instant où elle portait son verre à ses lèvres, elle avait songé qu'il avait eu soif dans Son agonie, et cette pensée était si terrible que la soif qu'elle- même éprouvait lui parut pleine de délices ; — et elle avait donné son verre intact à Pilar.

Elle disait tout cela d'une voix sourde et haletante ; Joanny l'écoutait sans l'interrompre. C'était le secret de sa vie qu'elle lui livrait. Après de telles confidences, pourrait-elle l'oublier ? Elle ne montrait pas tant d'aban- don à Marna Doloré. Elle semblait la considérer plutôt comme une mère tyrannique et capricieuse que Dieu lui avait donnée pour exercer sa patience. Et assurément Pilar n'était pas la confidente de sa sœur. Alors ? — Alors, il était donc son ami ?

Quand ils se quittèrent, ce soir-là, leur poignée de mains fut plus étroite et plus longue qu'à l'ordinaire. C'était une promesse tacite de se garder leurs secrets. Elle lui dit qu'elle lui apporterait, le lendemain, une "Vie de S te Rose de Lima."

Léniot, pour la première fois, arriva un peu en retard en étude. Tous les élèves étaient déjà au travail. En passant devant l'étude de Philosophie, il vit, par la porte entr'ouverte, Santos debout au tableau noir qu'il couvrait d'équations. " Il ne se doute guère qu'il a joué au tennis avec une sainte ! " Cette idée fit sourire Joanny. Ainsi il était seul à savoir que, derrière cette gaîté, derrière cette coquetterie même, il y avait une foi si vive, un tel mépris du monde et des richesses.

(A suivre.) Valéry Larbaud.

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