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Page:NRF 3.djvu/99

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UNE BELLE VUE 93

car dans ce fanfaron de sagesse et de vertu, elle avait percé à jour l'orgueilleux, l'égoïste, sans charité ni pitié.

Elle abandonnait à des femmes qui avaient accepté un mari par intérêt, comme madame de Chaberton et mille autres, ou qui trompaient le leur, comme la jolie madame Tuffier-Maze, le soin de faire les renchéries vis-à-vis d'une de leurs semblables, plus honnête qu'elles à tout prendre en dépit des condamnations mondaines. Oui, madame Tourneur avait été maîtresse avant d'être épouse; mais pour- quoi avait-on interdit à M. Tourneur de " se déshonorer " en épousant une artiste ? Le veto qu'il n'avait pas osé trans- gresser du vivant de son père avait dénaturé la situation, car le dernier mot reste toujours à l'amour partagé. Ce roman se passait à Paris ; la province a la haine des romans. Elle le montra bien lorsque M. Tourneur ayant échoué dans diverses entreprises, fut ramené au bercail par l'obligation de gérer les débris de son modeste patri- moine. Elle se chargea de faire expier chèrement les belles années d'un bonheur à ses yeux coupable. La vérité ne suffisant pas à légitimer les indignations et les implaca- bles rancunes de l'hypocrisie, à quelles calomnies n'eut-on point recours ? Le maître du Colombier possédait en outre, pour son châtiment, un beau-frère que toute atteinte à la religion, à la famille, à la société, blessait personnellement. Et il les avait, paraît-il, toutes trois outragées !

Or maman et madame Tourneur, qui, dès leur pre- mière rencontre, avaient sympathisé, s'étaient revues pendant la dernière maladie de mon père. Mon oncle Hippolyte, suffoquant de surprise et de fureur contenue, avait même fait claquer la porte de la maison mortuaire, pour s'y être rencontré la veille de l'enterrement avec la

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