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Page:Nansen - À travers le Grönland, trad Rabot, 1893.djvu/141

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en route vers la côte orientale du grönland.

nous et viennent battre jusque sur notre glaçon. La position devient critique.

« Les Lapons ne sont pas d’humeur gaie. Ce matin, ne les apercevant pas, je me demandais où ils pouvaient bien être, car, sur notre petit glaçon, il n’y a pas beaucoup d’endroits pour se cacher. Voyant un des canots soigneusement recouvert de prélarts, je vais à la. découverte de mes gens, je soulève une toile avec précaution, et que vois-je dessous ? nos deux bonshommes blottis au fond de l’embarcation, Balto lisant à haute voix à son vieux camarade l’Ancien Testament. Sans attirer leur attention, je laissai retomber le prélart qui recouvrait la petite église. Nos deux camarades avaient fait l’abandon de leur vie et se préparaient à la mort. Plus tard Balto me raconta qu’ils avaient alors pleuré en se reprochant amèrement d’avoir abandonné leur vie paisible. Après tout, ils pouvaient bien être effrayés dans cet inconnu.

« Aujourd’hui le temps est magnifique et le soleil éblouissant ; il devient nécessaire de porter des lunettes fumées. Nous profitons du soleil pour déterminer notre position. Nous nous trouvons maintenant par 65° 8’ de latitude nord et 38° 20’ de longitude ouest, à 30 milles de l’embouchure du Sermilikfjord et à 23 ou 25 milles de la terre la plus rapprochée.

« Comme à l’ordinaire, le dîner est préparé. Pour occuper notre temps nous faisons une soupe aux légumes. Depuis notre départ du Jason, c’est la première fois que nous pouvons prendre des aliments chauds. Pendant que la soupe est sur le feu, le roulis augmente, plusieurs fois notre appareil de cuisine manque de tomber. Les Lapons mangent en silence tandis que les autres causent et plaisantent comme d’habitude. À chaque choc violent que reçoit notre glaçon, partent des lazzis. Par leur gravité, les Lapons paraissent désapprouver celle gaieté ; à leur avis, ce n’est ni le moment ni le lieu pour plaisanter.

« Du point le plus élevé de notre radeau, nous voyons les glaçons de l’iskant couverts par la mer, le flot brise dessus et jaillit en panaches d’écume blanche vers le ciel bleu. Aucun être vivant ne doit pouvoir résister à ces avalanches d’eau. Nous dérivons toujours vers la pleine mer. Notre glaçon est épais, il pourra soutenir le choc