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Page:Nansen - À travers le Grönland, trad Rabot, 1893.djvu/163

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historique des expéditions.

coula de la blessure se changea en lait. Thorgils et ses compagnons vécurent ensuite des produits de la chasse, puis construisirent une embarcation en peau.

Plus tard, la banquise s’étant disloquée, les naufragés se mirent en route vers le sud en suivant la côte ; après une pénible navigation qui dura deux étés, ils arrivèrent à une maison[1] construite près du cap Farvel par un exilé, Rolf de l’Osterbygd. Après avoir passé chez lui l’hiver, ils arrivèrent l’été suivant à l’Osterbygd.

Le récit des événements fabuleux contenus dans cette saga peut faire douter de la véracité du narrateur. La description du pays se rapporte si exactement à la côte orientale du Grönland que ce document n’a pu cependant être inventé de toutes pièces. On voit, par exemple, que les naufragés ont au printemps gravi les montagnes pour suivre les mouvements de la glace ; aujourd’hui les voyageurs n’agissent pas autrement. La saga rapporte également que Thorgils longea des glaciers et des montagnes escarpés, passa dans la dernière partie du voyage devant une région découpée par de nombreux fjords et qu’enfin presque toute l’année la banquise reste amoncelée près de terre, tous renseignements qui ne peuvent s’appliquer qu’à la côte orientale du Grönland. Le récit des événements extraordinaires arrivés à Thorgils a pu être imaginé en tout ou en partie, mais l’auteur ou les auteurs de la saga en devaient connaître le théâtre. Très certainement les anciens Normands ont fait naufrage sur la banquise ou sur la côte orientale du Grönland, et se sont ensuite réfugiés à terre[2].

Plusieurs passages du Kongespeil (1250) prouvent que les Scandinaves connaissaient au moyen âge cette côte. « Sur cette mer, lit-on dans ce document, se produisent des phénomènes absolument extraordinaires. Nulle part ailleurs dans le monde on ne rencontre une masse de glace aussi considérable. Quelques-uns des glaçons sont absolument plats, comme si la surface de la mer avait été congelée ; leur épaisseur varie de 4 à 5 aunes. Il est parfois nécessaire de naviguer pendant plusieurs jours au milieu de ces blocs avant de pouvoir atteindre la côte. Cette banquise est beaucoup plus compacte

  1. Sur la côte orientale du Grönland, on ne connaît qu’une seule ruine normande, à Narsak, dans le fjord Lindenoy.
  2. Les sagas contiennent le récit de plusieurs naufrages survenus sur la banquise.