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Page:Nansen - À travers le Grönland, trad Rabot, 1893.djvu/207

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tête de grandes cornes, qu’il essaye de leur représenter en se plaçant les bras en l’air le long de la tête. Les Eskimos ne comprennent pas, ils n’ont probablement jamais vu de renne ; cet animal n’existe pas dans la région qu’ils habitent.

Le souper est préparé et mangé devant la tente, en présence d’une nombreuse assistance. Plusieurs rangées de curieux observent attentivement tous nos mouvements. Après le repas, nous allons continuer nos observations dans le camp.

Sur la rive se trouvaient au sec un certain nombre de kayaks et plusieurs oumiaks. Voyant l’intérêt avec lequel j’examinais ces embarcations, un Eskimo s’empresse de me montrer l’usage de chaque objet. Il me fait examiner sa périssoire, très joliment ornée de figurines en os, et ses armes, artistement décorées ; il est surtout fier de son harpon, dont la pointe est formée d’une dent de narval. Les Eskimos mettent tout leur amour-propre à posséder un beau kayak.

Bien que la nuit fût venue, l’animation était toujours grande. Des ombres passaient et repassaient. Très amusante surtout était la silhouette des femmes, portant leurs enfants dans l’amaut[1] ; avec ce paquet dans le dos elles semblent toutes bossues. À voir les tentes éclairées, on eût dit des tonnelles garnies de lanternes vénitiennes ; nous avions l’illusion d’assister à une fête de nuit dans un petit port.

Maintenant il faut songer à dormir, et nous disposons les sacs de couchage, opération qui excite encore la curiosité des indigènes : les voilà en rangées serrées tout autour de nous, pour jouir du spectacle très intéressant que nous offrons en nous déshabillant. Les femmes ne sont pas moins désireuses que les hommes de nous voir quitter nos vêtements. Il n’eût pas été poli de prier les beautés grönlandaiscs de s’en aller ; d’autre part, si nous avions pu leur expliquer que chez nous il n’est pas d’usage que les dames regar-

  1. L’amaut est un vêtement de forme particulière porté par les femmes qui ont des enfants en bas âge. Il est garni d’une espèce de grand capuchon qui peut être fermé par des courroies attachées à la ceinture. Dans ce sac le marmot est bien au chaud, et n’entrave pas les mouvements de la femme. Elle peut par exemple marcher et ramer sans éprouver la moindre gêne. Une mère de famille grönlandaise se sépare rarement de son enfant.