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Page:Nansen - À travers le Grönland, trad Rabot, 1893.djvu/240

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a travers le grönland.

buvons le café et soupons sur le rivage près des canots, le cœur rempli de joie ; les Lapons eux-mêmes paraissent gais. Nous avons surmonté une des grosses difficultés du voyage, nous avons atteint sur la côte le point où nous désirions arriver, et cette pensée nous cause une satisfaction profonde. Nous courrons encore bien des dangers, nous éprouverons bien des difficultés, mais nous aurons sous les pieds la terre ferme.

« La traversée d’un glacier, quelque pénible qu’elle soit, nous causera moins de soucis que la navigation au milieu des glaces flottantes, pendant laquelle les canots risquaient à chaque moment d’être écrasés. Les Lapons seront plus dans leur élément sur les champs de neige de l’intérieur du Grönland que sur les drifis. Le paysage a un air de sauvage grandeur : vers l’ouest s’élève le mont Kiatak ; de tous côtés, des rochers de gneiss gris et d’énormes glaciers dont la base trempe dans la mer ; sur le fjord dérivent quelques blocs. Une partie du cadre est masquée par la brume. Tout est gris et blanc, par-ci par-là seulement une tache ou une raie bleuâtre, le ciel est gris, la mer une grisaille, légèrement bleue, ajoutons à cela des glaçons blancs avec des taches bleues dans les crevasses. »

Le 11, le temps est superbe ; devant le campement la mer s’étend toute miroitante à perte de vue ; quelques isbergs ponctuent de leur masse blanche sa nappe étincelante. Au sud apparaissent les glaciers des Kolberger Heide hérissés de nunataks, et devant nous le Kiatak détache nettement son cône noir sur le ciel bleu. Vers le nord l’inlandsis étale sa vaste nappe blanche ; dans le bas le glacier devient de plus en plus bleu et crevassé et se termine au-dessus de la mer par un mur déchiqueté d’où sont tombés les blocs épars sur la mer. Dans le haut c’est une immense plaine blanche, avec quelques raies bleues produites par l’ouverture des crevasses.

Partout un grand silence, de temps à autre le cri perçant d’une hirondelle de mer, puis soudain une bruyante détonation provenant du vêlage du glacier ou de la formation d’une crevasse.

Maintenant le soleil est haut et il faut se mettre au travail. Nous commençons par déjeuner rapidement. Aussitôt après, Kristiansen et les deux Lapons s’occupent de nettoyer les patins des traîneaux couverts de rouille. Dans l’état où ils sont, ils ne pourraient glisser.