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Page:Nansen - À travers le Grönland, trad Rabot, 1893.djvu/368

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a travers le grönland.

qu’il ne nous a pas vus, l’animal marche vers nous en gravissant un plissement de terrain. Nous armons nos fusils, et dès que le renne apparaît au sommet du monticule, je fais feu. Malheureusement je le manque ; immédiatement je lâche mon second coup, en même temps que Joël tire à son tour. L’animal fait un bond, il est frappé à l’épaule, mais il n’en fuit pas moins rapidement. Je tire un troisième coup, sans succès. Je recharge en toute hâte, et cette fois l’animal tombe raide. Aussitôt nous courons pour découvrir les autres rennes, mais ils ont disparu. Il était alors plus de midi, et comme en cette saison les journées sont très courtes, nous abandonnons la poursuite et nous nous dirigeons vers le fjord pour rapporter au campement notre gibier.

La bête abattue, j’avale une large lampée de sang chaud. Par un temps aussi froid qu’aujourd’hui, c’est une excellente boisson. Joël ne peut s’empêcher de manifester le plus profond étonnement de me voir absorber avec plaisir le sang du renne. Lorsque je lui demande s’il ne va pas suivre mon exemple, il me fait comprendre qu’à son goût le contenu de l’estomac de l’animal est son morceau favori.

Il s’agit de transporter le gibier jusqu’à l’endroit où sont échoués nos kayaks et ce n’est pas un petit travail.

Avec nos ski nous fabriquons une sorte de traîneau, déposons dessus le renne, et nous attelons à ce véhicule primitif. Mais la marche n’est pas facile : sans nos patins nous enfonçons maintenant profondément dans la neige, surtout dans les endroits où se trouvent des pierres éboulées.

L’obscurité était déjà venue lorsque nous arrivons sur les bords du fjord. Nous pensions transporter l’animal au campement sur nos kayaks amarrés bord à bord, ainsi que les Eskimos ont coutume de le faire ; mais, la nuit, la navigation eût été trop difficile dans de pareilles conditions. Nous abandonnons le gibier sur le rivage après l’avoir ouvert et en avoir enlevé le cœur et le foie, dont nous mangeons incontinent une bonne part toute crue.

Nous nous dirigeons ensuite vers le campement. Pendant que nous ramions dans l’obscurité, Joël ne cessa de chanter : longtemps à l’avance nos camarades furent ainsi prévenus de notre arrivée.