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Page:Nansen - À travers le Grönland, trad Rabot, 1893.djvu/374

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regardai les Eskimos venus pour se réjouir aux dépens du nalagak[1]. Tout autour de nous grouillaient des indigènes se livrant à leur fantasia habituelle, aussi sûrs de leurs mouvements que s’ils s’étaient trouvés sur la terre ferme. Après quelques jours d’exercice, j’acquis une certaine assiette, et, en attachant deux flotteurs à mon kayak comme cela se pratique pour les débutants, je devins rapidement plus habile. Ces flotteurs consistent en deux petits kayaks longs de 30 centimètres qu’on fixe de chaque côté de l’embarcation derrière le rameur. Après un ou deux mois de pratique, je pus me passer de ces engins et me hasarder en mer sans aucun aide.

Un jour que j’étais sorti du port, je rencontrai une troupe de dauphins blancs, que je me mis à poursuivre. Dans mon ardeur cynégétique je me laissai entraîner au large, et lorsque je rebroussai chemin, l’obscurité était déjà venue. Pour comble d’infortune, un vent violent s’était élevé parle travers et retardait ma marche. À mon arrivée à Godthaab, tout le monde était anxieux de mon absence prolongée.

« La nuit arrivait, raconte Balto, et tous nous commençâmes à être inquiets de Nansen qui n’était pas encore rentré. Nous l’attendîmes encore un certain temps, mais en vain. Pensant qu’il pouvait être à la mission allemande, où tous les Européens se trouvaient réunis pour une fête, nous y envoyâmes un exprès. Non, Nansen ne s’y trouvait pas non plus. À cette nouvelle je fondis en larmes. Le directeur de la colonie ordonna alors à tous les indigènes d’aller de suite à la recherche de notre chef aimé ; au moment où ils allaient partir, voici enfin Nansen, et tous les Eskimos de s’écrier : « Kouyanak Kouyanak, Nansen, sigipok, ayungilak », expression qu’on peut traduire par : Remercions Dieu, Nansen est sauvé. On comprend également quelle fut notre joie après cette chaude alarme. »

Une fois que j’eus acquis une certaine habileté en kayak et que mes camarades m’eurent vu circuler en toute sécurité, quelques-uns d’entre eux voulurent suivre mon exemple. Sverdrup, le premier, osa faire l’expérience et bientôt devint un excellent kayakman.

  1. Les Grönlandais m’appelaient généralement nalagak ou umitormiut nalagak (chef des Norvégiens).