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Page:Nantel - À la hache, 1932.djvu/33

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LES CONTREMAÎTRES

ces de la rivière Mattawin jusqu’aux Piles. Le voyage dura cinq jours. Le canotier tenait la tête du mort, entre ses genoux, pour stabiliser davantage sa fragile embarcation. Peu agréable, la monotonie de ces heures, avec la mort et le grand silence de la forêt, à peine troublé par les centaines de mouches à vers qui laissaient leurs millions d’œufs sur la toile grise du linceul, fabriqué avec des vieux sacs à farine.

Lorsque le croquemort improvisé arriva à la gueule du Saint-Maurice, une ancienne barouche l’attendait. Notre homme coucha son cadavre sur le dos, à plat, et commença un autre voyage, vers le hameau éloigné. Le soir tombait. À mi-chemin, un colon à pied guidait sa marche aux reflets d’une lanterne.

Boisvert, toujours dispos :

— Ohé ! l’ami, on embarque ?…

Le passant joyeux saute aux côtés du voyageur. Silence des deux compagnons, dans le soir épais. De temps à autre, les soubresauts de la voiture déplacent l’air dans les poumons du mort et la bouche émet une plainte sourde. L’habitant, intrigué d’abord de sentir quelque chose remuer sous ses pieds, demande à brûle-point.

— C’est’y un goret que vous avez là ?…

Boisvert, toujours bref :

— « Tabarnac », c’est un mort !…