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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/112

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TANTE GERTRUDE

Un mouvement de révolte la fit se dresser frémissante… Mais, subjuguée par le charme irrésistible de cette voix, aux notes graves, qui avait sur elle un tel empire, elle ferma les yeux et se rassit silencieuse, attendant, écoutant…

— Ma conduite doit vous paraître étrange, et je vous supplie de me pardonner mon importunité… Mais vous avez mis en cause une personne qui m’est chère… et il faut que je la défende.

Jean Bernard parlait si bas que la jeune femme avait peine à entendre. Elle ne pouvait pas le voir non plus, car il se tenait derrière elle… Mais elle le devinait tout près… elle sentait son souffle effleurer ses cheveux…

— Vous avez flétri d’un soupçon blessant une amie qui vous aime d’une tendresse profonde et vous est entièrement dévouée… c’est mal… Vous souffrez sans doute et c’est ce qui vous excuse… la souffrance rend si injuste. Oui, madame, j’aime Mlle Thérèse, et elle m’aime aussi, mais notre affection n’a nullement le caractère que vous lui prêtez… Je ne suis pas son amoureux, comme vous le disiez tout à l’heure !

La voix, toujours basse, se faisait plus dure, plus tranchante… Et Paule, tremblante, essayait de comprimer son cœur qui battait à se rompre.

Mlle Thérèse est fiancée. Mais son fiancé n’est pas de ce monde… La noble enfant a visé plus haut, et son amour plane au-dessus de nos pauvres amours humaines… Elle s’est vouée à Dieu depuis le jour où elle restée orpheline, et, seule, la volonté de Mlle de Neufmoulins, à laquelle elle n’ose se soustraire, la retient ici. Ce sont de ces noces après lesquelles elle soupire que nous nous entretenons dans les longues causeries qui ont excité vos injustes soupçons… Je suis son seul confident. Dans sa vie de triste isolement, mon amitié lui est précieuse ; elle me considère comme un frère aîné… J’en suis heureux et fier ! C’est un si noble cœur, une âme si pure !… Nos situations, fort semblables sur bien des points, nous ont aussi rapprochés… Un intendant et une demoiselle de compagnie : deux domesticités déguisées ! Sou-