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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/136

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TANTE GERTRUDE

cœur… Avec l’être bon et loyal qui m’a fait comprendre ce qui est vraiment noble dans la vie… qui a su m’inspirer le culte du devoir, l’abnégation, l’oubli de soi-même…

— Ta, ta, ta ! Si j’avais un orgue de Barbarie, j’accompagnerais ta rengaine. Au fait ! au fait ! le nom de cette huitième merveille du monde ?

— C’est… — et Paulette s’approchant de sa tante, passa câlinement un bras autour de son cou et lui murmura quelque chose à l’oreille.

— Ah ! ventrebleu ! elle est forte, celle-là !

La vieille fille, écumant de rage, repoussa sa nièce avec une telle violence que cette dernière faillit perdre l’équilibre, et dut s’appuyer à la table pour ne pas tomber.

— Comment ! malheureuse, tu oses aimer un de mes laquais et tu as l’audace de venir me l’avouer ? Sors d’ici, et que je ne te revoie jamais !

Mais Paule, transfigurée, se dressa devant sa tante dans une attitude de défi superbe.

— Oui, j’aime Jean Bernard, déclara-t-elle avec hauteur, et je ne rougis pas de l’avouer. Je préfère son amour aux millions des plus riches prétendants ! Il est pauvre, que m’importe ! Je partagerai sa pauvreté, je travaillerai avec lui pour élever ses deux enfants ! C’est un valet, tante Gertrude, vous l’avez dit, mais ce valet a l’âme aussi grande que celle d’un prince, et ses sentiments sont aussi nobles que ceux des plus grands seigneurs !

— Ah ! vraiment, il te sied à toi de parler de ses beaux sentiments ! interrompit ironiquement la vieille châtelaine, subjuguée un instant par la parole vibrante de sa nièce, par l’éclat fulgurant de ses grands yeux extasiés et ravis. Quel beau rôle que celui de ce manant, de ce drôle qui séduit la nièce de sa maîtresse !

— C’est faux ! s’écria Paule indignée, il ne m’a jamais dit un mot d’amour.

— Tiens ! tiens ! voyez-vous cela ! Alors, c’est toi qui t’es prise d’un béguin pour ce joli godelureau ?

— Oh ! tante Gertrude ! — et la voix se fit suppliante — ne parlez pas ainsi ! Non… vous savez