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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/138

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TANTE GERTRUDE

porter son nom et de lutter avec lui, de partager sa pauvreté comme il partagera la mienne… Mais vous agissez mal, tante Gertrude ! vous allez chasser un honnête homme… vous allez mettre dans la misère deux orphelins innocents…

— Tant pis ! c’est ta faute ! interrompit Mlle de Neufmoulins avec emportement. Tu as fait tout le mal, répare-le ! Montre à ce drôle que tu as dans les veines du sang d’une autre espèce que le sien ! Épouse M. Le Saunier. Alors, à ce prix, j’oublierai son audace ; je lui laverai la tête comme il le mérite et je le garderai à mon service. Qu’il fasse la cour à Thérèse, lorsque tu seras partie, ça m’est égal ! Mais oser lever les yeux sur ma nièce, la descendante d’un Croisé !… vertudieu ! ça me fait bondir ! S’il était là sous ma patte, ce misérable, il s’en souviendrait !

Et Mlle Gertrude, frémissante de colère, agitait ses grands bras d’une façon menaçante, tandis qu’elle dévisageait sa nièce avec une persistance étrange.

Celle-ci, de plus en plus pâle, s’était dirigée vers la porte… Silencieuse, les yeux baissés, la poitrine soulevée, elle paraissait en proie à une profonde émotion. Sur le point de sortir, elle se retourna et leva sur sa tante ses paupières alourdies… Une expression désespérée se lisait dans son regard humide de larmes.

— Adieu, tante Gertrude.

La voix était douce et plaintive comme celle d’un enfant. Elle s’arrêta et ses lèvres s’agitèrent comme pour parler encore… Mais, se détournant brusquement, elle s’éloigna, laissant derrière elle le bruit d’un sanglot.

Ce fut la vieille Zoé qui ouvrit cette fois à Mme Wanel lorsqu’elle se présenta dans la matinée à l’Abbaye.

— M. Bernard n’est pas là, Zoé ?

— Madame voulait l’accompagner ? interrogea la servante en voyant la jeune femme coiffée du petit chapeau de feutre et vêtue du complet tailleur en drap bleu qu’elle portait habituellement lorsqu’elle allait avec le régisseur visiter les malheureux qu’il lui avait recommandés.