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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/160

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TANTE GERTRUDE

s’en aller ainsi — et la jeune femme adressa un regard suppliant à son fiancé.

— Non, Jean, mon enfant, protesta la châtelaine de sa voix impérieuse en voyant que le comte de Ponthieu s’apprêtait à parler, toute insistance serait inutile ; ma résolution est prise. Je vous rends ce legs que je n’avais accepté que comme un dépôt. Jean de Neufmoulins doit tressaillir de joie dans sa tombe ; je suis arrivée à ce qu’il avait désiré et n’avait pu réaliser : voir Paulette, qu’il aimait, comtesse de Ponthieu et femme de ce Jean qu’il aimait aussi et tenait en si haute estime. Je retourne vivre seule dans mon trou…

— Vous ne serez pas seule, mademoiselle, dit Thérèse de sa voix douce et grave, je ne vous quitterai pas.

— Ma petite, c’est ce qui te trompe. Je n’ai pas besoin de toi du tout ! Il y a assez longtemps, pauvre enfant, que je te fais languir après la réalisation de tes vœux ! Mais tu me pardonneras lorsque tu sauras mon motif. Que veux-tu, nous autres, les vieux, nous sommes toujours un peu des égoïstes ! Il me fallait ton aide, ton exemple, pour faire de ma nièce une femme de ta trempe et de ta valeur ! Alors je t’ai gardée ! Jean s’est mis de la partie, et à lui seul, vois-tu, il a fait des miracles ! Mais tu as bien travaillé aussi à la conversion de notre Paulette… Désormais, tu continueras en priant pour elle, là-bas, dans ton couvent, où j’irai te conduire le lendemain du mariage.

Puis, voyant les larmes de l’orpheline, elle continua d’une voix tendre que cette dernière ne lui connaissait pas.

— Ma bonne petite Thérèse, il faut que je t’aime bien et que je veuille ton bonheur pour avoir ainsi le courage de me séparer de toi ! J’ai appris à tant t’apprécier depuis que je t’ai à mes côtés ! C’est bien vrai que Dieu prend pour lui tout ce qu’il y a de meilleur !… Ne pleure pas, va ! Ta vieille amie ira te voir quand elle se sentira prise d’un trop grand ennui, et plus tard, si Paulette a des enfants, elle te les donnera à élever ; tu sauras en faire de vraies femmes… Mais, assez d’émotions, sapristi ! déclara gaiement la châtelaine, après un instant de