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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/32

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TANTE GERTRUDE

serait une autre femme que cette créature frivole et coquette ; il fallait que le beau nom de Ponthieu fût dignement porté !

Et l’image de sa mère, avec son air distingué, son expression tendre et triste, se dressait devant ses yeux ! Il la revoyait supportant courageusement les épreuves, sans avoir jamais une plainte, luttant bravement, s’oubliant elle-même pour donner un peu de bien-être à ses enfants orphelins et dépouillés par un père bon et prodigue. Il se souvenait de l’heure déchirante où la noble créature l’avait quitté, pour aller retrouver dans la tombe le mari qu’elle avait toujours aimé et respecté malgré ses faiblesses…

— Mon pauvre Jean, avait-elle murmuré en lui serrant la main, vous allez être seul maintenant à porter le fardeau…

Puis, lui montrant d’un geste navré le frère et la sœur, qui, inconscients de leur malheur, jouaient gaiement auprès de son lit :

— C’est tout ce que je vous lègue, mon fils.

Et depuis, Jean n’avait pas, lui non plus, failli à sa tâche ! Il s’était montré le digne fils de sa mère qui, là-haut, pouvait être aussi fière de lui que tranquille sur le sort de ceux qu’elle lui avait légués…

Parfois, pendant ces six années, la vie avait été bien dure pour le jeune homme : Jean Bernard, le régisseur du prince d’A…, avait connu des heures sombres. Mais lorsqu’il était sur le point de s’abandonner au découragement, la pensée de sa mère l’avait toujours relevé, son souvenir l’avait soutenu. En cette dernière circonstance encore, ce fut la douce vision qui le détourna de la tentation d’accepter la fortune qui s’offrait à lui : il fallait à ses enfants, si Dieu lui en envoyait un jour, une mère comme la sienne ! Aussi, presque honteux d’un moment d’hésitation, il avait écrit au notaire, refusant net l’héritage de son oncle dans les conditions stipulées.

Mais ces simples mots de Madeleine : « Si Jean était riche… » avaient soudain éveillé en lui un monde de pensées, presque de regrets. Serait-il jamais riche ? La fortune ne le tentait guère pour