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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/35

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TANTE GERTRUDE

— Vous cherchez de l’ouvrage ? C’est parfait ! Je vais vous en faire donner, et ce soir vous toucherez votre salaire comme les autres. Mais, sachez-le bien, jamais je ne tolérerai le métier honteux que vous faites en ce moment ; les femmes, les faibles et les petits peuvent glaner tant qu’ils le veulent ! Je recommande même qu’on les aide au besoin et qu’on ajoute un peu à leur récolte quand elle aura été trop maigre ; pour les hommes, je ne veux que des travailleurs. Que décidez-vous ?

Les trois vagabonds, subjugués par le ton ferme et l’assurance du régisseur, s’étaient regardés.

— Nous ne demandons pas mieux que de travailler, murmura le plus âgé.

— C’est bien. Mathieu, faites donner des outils à ces hommes, et que, la journée finie, ils touchent ce qui leur sera dû.

Jean s’éloigna, suivi d’un regard approbateur de la part des paysans.

— C’est ça qui s’appelle parler ! dit l’un d’entre eux. Voilà un homme, notre M. Bernard !

À l’autre bout du champ, Madeleine s’extasiait devant la superbe meule presque terminée, tandis que Gontran, qui avait mis habit bas, aidait au travail avec un véritable plaisir, à la grande joie des ouvriers.

— Eh ! regarde, Jean, s’écria la fillette, en voyant arriver son frère, regarde comme c’est bien fait ! Il n’y a pas un brin de paille qui dépasse ! C’est vraiment beau !

Il était tard, et le soleil était presque couché lorsqu’ils reprirent le chemin du Castelet, malgré les prières de Madeleine qui aurait voulu rester encore avec ses nouveaux amis les moissonneurs. Elle rapportait précieusement la magnifique gerbe de coquelicots et de bleuets qu’ils avaient cueillis à son intention, et qui devait orner sa modeste petite chambre.

Assise à côté de Jean, sur le devant de la voiture, elle aspirait avec délices les senteurs qui montaient des haies au bord de la route et des champs qu’ils traversaient, tandis que son frère l’admirait, tout en écoutant ses réflexions gaies et spirituelles. Elle était vraiment ravissante Madeleine de Ponthieu,