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Page:Neulliès - Tante Gertrude, 1919.djvu/59

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TANTE GERTRUDE

devant les personnes présentes, quitta la pièce de son pas assuré.

Paule, comme interdite, n’avait pas bougé. Elle éprouvait une sorte de dépit indéfinissable en constatant l’impression que lui avait faite ce Jean Bernard.

— Eh bien ! que dis-tu de l’oiseau ? interrogea la voix railleuse de sa tante, la tirant brusquement de ses réflexions.

— Il est très chic ! répondit-elle vivement.

— Et surtout bien prétentieux, remarqua M. de Lanchères. Où avez-vous déniché cet intendant, mademoiselle ?

— En Belgique, « savez-vous », monsieur mon futur neveu.

— Qui vous l’a recommandé, tante Gertrude ?

— Ma chère enfant, j’ai vu son annonce dans le Gaulois. Avant de lui écrire, je me suis informée pour tâcher de savoir s’il était moins voleur que la plupart des gens de son espèce. Il paraît qu’il est dans les modérés et ne tire pas trop sur la ficelle ; alors, je l’ai accordé ! Il n’a pas le sou, et se mêle d’élever deux enfants ! Ça me chiffonne. Mais, qu’y faire ? C’est bien sûr ma bourse qui paiera encore les frais de ces éducations-là. Tant pis ; j’ai cherché, je n’ai rien trouvé de mieux.

— Il a, ma foi, des airs de grand seigneur, dit Paulette.

Mlle Gertrude haussa les épaules.

— Si ça ne vous fait pas pitié, de voir des manants avec une tournure pareille ! Où allons-nous, grand Dieu ! Soit dit sans vous offenser, mon futur neveu, il est autrement taillé que vous ! Et vous êtes pourtant autrement titré que lui ! En tout cas, il me fait l’effet d’un gars qui n’a pas froid aux yeux, et mes coquins de fermiers vont avoir du fil à retordre avec lui !

Cette perspective égayait sans doute la vieille demoiselle, car elle paraissait ravie et se frottait énergiquement les mains, ce qui, chez elle, était toujours un signe de grand contentement.

Paulette, au contraire, restait pensive, et ses yeux bleus avaient un regard rêveur qui ne leur était pas habituel.