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Page:Nichault - Anatole.djvu/209

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ments que j’ai passés depuis semblent ne plus appartenir à l’existence. Mais que l’excès de ce désespoir ne vous afflige pas, Valentine, je ne souffre déjà plus. Ne vous accusez point surtout des peines qui m’accablent ; le ciel m’avait, dès ma naissance, condamné au malheur. C’est par vous seule que j’ai connu le charme de la vie. En me permettant de vous aimer, je vous ai dû une félicité au-dessus de mes espérances ; et ce n’est pas votre faute si mon amour insensé a besoin de joindre un autre bonheur à celui de penser à vous… Je le sens : cet amour qui me dévore devait m’entraîner à tout braver pour tout obtenir de votre pitié… La mort la plus inévitable ne m’aurait pas arrêté… Mais s’exposer au mépris de Valentine… se voir l’objet de son dédain… Ah ! plutôt mille fois succomber à la douleur de s’éloigner d’elle. C’en est fait mon sort est rempli ; je l’ai vue, je l’ai adorée, ses yeux ont daigné quelquefois se fixer sur les miens ; tant d’heureux souvenirs valent plus que ma vie. Adieu. Valentine ! Adieu. »


Cette lettre fut remise à madame de Saverny, à son retour de Versailles ; et de tous les événements de la journée, le seul qui resta dans son souvenir, ce fut le moment où elle avait vu pour la dernière fois Anatole.

— Il est parti, disait-elle avec l’accent d’un désespoir concentré ; il est parti, et c’est pour m’obéir qu’il m’abandonne à tout l’excès de ma douleur !… Accablée d’injustices ; rejetée par ma famille