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Page:Nichault - Anatole.djvu/21

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ravant, semblaient désespérés de la crainte de ne pas entendre la voix de cette célèbre virtuose, étaient presqu’aussi contrariés de voir interrompre une conversation qui les amusait. C’est ainsi qu’en France les plaisirs de l’esprit passent avant tout.

Madame de Nangis, bien convaincue de cette vérité, prévint toutes les causeries qui allaient s’établir, en réclamant l’attention générale en faveur d’un beau quatuor d’Haydn, qui fut aussi bien exécuté que mal écouté. Au quatuor l’on fit succéder la sévère sonate d’un pianiste allemand, qui commençait à assoupir l’assemblée, lorsque madame de Nangis s’écria, sans aucun égard pour le pauvre professeur :

— Ah ! voici M. Augustini.

C’était le nom de l’accompagnateur tant désiré ; chacun le répéta tout haut, en félicitant madame de Nangis du bonheur d’avoir pu le rejoindre ; et c’est au bruit de toutes ces félicitations, qu’expira le dernier accord de la sonate allemande, sans que personne songeât à en applaudir l’auteur. Madame de Nangis lui adressa seulement un de ces discours de maîtresse de maison, qui ne signifient rien, sinon qu’on veut se faire la réputation de dire un mot obligeant à toutes les personnes que l’on reçoit. Enfin, le moment de la signora B… était arrivé, et madame de Nangis jouissait du plaisir de voir le but de sa soirée rempli. Elle n’était plus tourmentée de cette crainte si naturelle d’avoir réuni tant de personnes pour les ennuyer. M. de Nangis aurait dû partager cette douce