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Page:Nichault - Anatole.djvu/239

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tomber dans des accès de mélancolie qui menaçaient d’altérer sa santé. Sa mère s’en inquiéta et voulut en savoir la cause. C’est alors qu’il lui fit l’aveu du sentiment pénible qui attristait son âme, en pensant que le ciel l’avait condamné à ne jamais goûter l’unique bonheur qui lui faisait envie. Je n’ai rien lu de plus touchant que la lettre où il demandait pardon à sa mère d’oser désirer la tendresse d’une autre femme, lorsqu’il était l’objet de son amour maternel. Mais, lui disait-il, peignez-vous le désespoir d’un cœur dévoré du besoin d’aimer, sans jamais pouvoir prétendre à inspirer le moindre retour. « Quoi ! ce délire enchanteur dont je vois partout les traces, ce feu qui anima le Tasse et Pétrarque, cette reconnaissance divine qui naît des faveurs d’un sentiment partagé ; enfin, tous ces bienfaits de l’amour, je ne les connaîtrai jamais : réduit au misérable avantage de profiter d’un instant de caprice ou des calculs de l’intérêt, je dois mourir sans rencontrer un cœur qui réponde jamais aux battements du mien. » La duchesse, affligée de le voir se livrer ainsi aux idées d’un malheur sans espoir, imagina de distraire Anatole par un voyage à Paris. Elle le chargea d’y faire l’acquisition d’une terre qu’elle viendrait habiter aussitôt qu’elle aurait obtenu de la reine d’Espagne la permission de se retirer de la cour. Ce fut par pure obéissance qu’Anatole se sépara de sa mère pour se rendre ici, suivi de son ancien gouverneur. Ils me remirent une lettre de la duchesse qui