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Page:Nichault - Laure d Estell.djvu/15

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ment préférer Léonie. Dès le premier pas, les voilà engagés tous deux plus qu’ils ne pensent :

« Alfred me plaisait, je crus l’aimer, dit Léonie. Que de femmes sont tombées dans la même erreur ! Ne connaissant l’amour que par récit, le premier qui leur en parle émeut toujours leur cœur en leur inspirant de la reconnaissance ; et, dupes de cette émotion, elles prennent le plaisir de plaire pour le bonheur d’aimer. »

J’omets divers accidents qui engagent de plus en plus la jeune exaltée et l’aimable étourdi. Cependant M. de Montbreuse avait d’autres projets pour sa fille ; il la destinait au fils de l’un de ses meilleurs amis, et dont il était le tuteur ; mais elle lui laisse à peine le temps de lui expliquer ce désir ; elle aime Alfred, elle n’aime que lui : Jamais d’autre ! c’est sa devise. Bref, le mariage est fixé à l’hiver prochain ; Alfred, qui a été blessé à l’armée, a lui-même besoin d’un délai, quoique ce terme de huit mois lui semble bien long. On doit passer ce temps au château de Montbreuse dans une demi-solitude, et s’y éprouver l’un l’autre en préludant au futur bonheur. C’est ici que le romancier fait preuve d’un art véritable ; ces huit mois, destinés à confirmer l’amour d’Alfred et de Léonie, vont peu à peu le défaire, et leur montrer à eux-mêmes qu’en croyant s’aimer, ils s’abusent.

Et tout d’abord Alfred, à peine arrivé au château, trouve Suzette, une fille de concierge, mais élevée un peu en demoiselle, et, en la voyant, il ne peut s’empêcher de s’écrier assez militairement devant Léonie : « Ah ! la jolie petite personne ! » —

« Dans ma simplicité, remarque Léonie, je croyais alors qu’un homme bien amoureux ne pouvait parler avec chaleur d’aucune autre beauté que de celle de l’objet de son amour ; mais l’expérience m’a prouvé, depuis, que les femmes seules étaient susceptibles d’un sentiment exclusif ; l’amant le plus