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Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/181

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Il fut à peu près tel que je l’avais prévu. Cependant, habitué à tous les petits manéges de notre galanterie française, je n’aurais jamais imaginé la manière naïve dont ces sortes d’affaires se traitent en Italie, et je ne revenais pas de ma surprise en voyant madame Rughesi porter sur Gustave des regards si indiscrètement passionnés. Sans doute, il avait témoigné un grand plaisir à la retrouver, et à s’assurer qu’il la verrait tous les jours ; car l’espoir et la reconnaissance animaient également les beaux yeux de Stephania. Placée entre le général et Gustave, elle ne perdait pas une occasion de lui prouver sa préférence ; et ce qui me frappait le plus, c’est que personne n’en paraissait étonné, et que mon maître lui-même n’en éprouvait aucun trouble : tant il est vrai que le mystère et l’incertitude causent seuls les agitations du cœur !

Après le diner, Stephania invita Gustave et quelques autres officiers à venir dans sa loge au grand théâtre della Scala. Bonaparte devait, ce même jour, assister à la représentation d’un opéra du célèbre Cimarosa, et, dès le matin, une foule de curieux obstruait toutes les avenues qui conduisent à la salle de spectacle. Malgré mon désir d’y pénétrer, je n’aurais pu y parvenir sans le secours de Bernard et de plusieurs de nos soldats, qui en franchirent le péristyle comme on monte à l’assaut.

— Place ! place ! criaient-ils. Nous voulons aussi l’applaudir.

Et les plus pauvres donnaient leur argent avec le même empressement que les autres. Emporté par un flot de ces braves gens, je me trouvai tout à coup au milieu du parterre, et fort bien placé pour voir l’ensemble de cette salle immense. D’abord, en apercevant les rideaux de différentes couleurs qui ornent chaque loge, je crus que c’était le rendez-vous de tous les polichinelles de l’Italie ; mais on me dit que ces petites chambres particulières n’étaient jamais éclairées que dans les grandes occasions, et que l’attention des spectateurs se portant tout entière sur le théâtre, on ne prenait pas garde à ce qui se passait dans les loges. J’en conclus que les femmes y venaient pour jouir du spectacle, et non pour s’y montrer, et je désirai voir bientôt cet usage établi en France.