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Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/197

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tiré de cet acharnement ridicule des conséquences fort graves. J’en serais désespéré ; car c’est un galant homme, dont la bienveillance m’est précieuse, et dont je n’ai pas envie de risquer l’estime, pour satisfaire au caprice d’une coquette. Certes, j’étais loin de penser à m’affranchir d’un lien qui semblait devoir charmer ma vie ; mais, puisque madame de Verseuil me rend ma liberté d’une si brusque manière, je profiterai de son inconstance, pour échapper du moins au chagrin de me brouiller avec mon général.

Si vous pouvez vous maintenir dans cette résolution, répondis-je, vous y trouverez, sans aucun doute, de grands avantages ; mais, croyez-vous qu’on vous tienne si facilement quitte de votre engagement ?

— Quand on en projette soi-même un autre, on doit sacrifier sans peine l’engagement qu’on trahit.

— Ne vous en flattez pas. C’est bien souvent celui auquel on tient le plus, et je pressens déjà tout ce que madame de Verseuil tentera pour vous garder en sa puissance.

— Et tu penses que je me prêterais à servir la vanité d’une femme qui ne voudrait conserver mon amour que pour s’en vanter auprès d’un nouvel amant ? Non, je ne m’abaisserai point à ce rôle misérable ; et, pour me soustraire à toutes les séductions qui pourraient m’y amener, je vais faire en sorte de rencontrer madame de Verseuil le moins souvent possible. J’ai déjà arrangé aujourd’hui, avec plusieurs de mes camarades, un dîner qui nous conduira jusqu’à l’heure de la fête. J’aurai soin de n’arriver qu’au moment où mon général et M. de. Rughesi iront au-devant de Bonaparte ; et le bal une fois commencé, je suis trop certain qu’Athénaïs ne s’occupera pas de moi.

Le profond soupir qui accompagna ces derniers mots me fit trembler pour la résolution de Gustave. Cependant il se leva pour aller prévenir Stephania du motif qui l’empêcherait de dîner avec elle ; mais, au moment d’ouvrir la porte, il revint sur ses pas pour prendre une épingle qu’il avait oubliée sur sa cheminée. C’était une pierre gravée, que je ne lui avais jamais vue, et je le priai de me la laisser regarder.

— C’est la Sapho antique, me dit-il d’un air insouciant. Elle est belle, n’est-ce pas ?