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Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/216

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priétaire avait pris le parti de renvoyer ses domestiques, en disant que l’égalité républicaine ne permettait pas de les garder. Dans un pays où la moitié de la population sert l’autre, cette mesure eut un effet funeste ; car les valets de toute espèce, renvoyés de chez leurs maîtres, et n’ayant plus de quoi vivre, se répandirent dans les rues de Milan, semèrent l’alarme parmi le peuple, et demandèrent partout vengeance de nos soldats. Déjà les révoltés se flattaient que de nouvelles Vêpres Siciliennes allaient sonner la dernière heure de tous les Français restés à Milan ; et l’on peut se faire une idée de ce que nous ressentîmes, en pensant qu’au moment même où nous apprenions les détails de cette insurrection, il n’était peut-être plus temps de secourir nos malheureux compatriotes. Mais Bonaparte savait agir : à peine est-il instruit de ce qui se passe à Milan, que, sans perdre un seul instant en vaines délibérations, il ordonne de rebrousser chemin, et repart lui-même suivi seulement de trois cents chevaux, et d’un bataillon de grenadiers. Je ne saurais rendre l’indignation qui se peignit alors sur tous les visages, et le silence menaçant qui fut gardé pendant ce retour. Bonaparte, l’œil fixe et les lèvres tremblantes, ne trahissait sa fureur que par un sourire amer ; mais ce sourire laissait entrevoir tout ce qu’il se promettait d’une juste vengeance. Gustave, ranimé par la colère, et peut-être aussi par la joie de revoir bientôt les objets de sa tendresse, ne pouvait contenir son impatience, ni démêler le sentiment qui l’agitait le plus. Le général Verseuil, si brave contre des soldats ennemis, paraissait effrayé d’aller combattre une populace effrénée, dont les excès étaient également difficiles à prévenir ou à faire cesser. Accablé de l’idée que les révoltés avaient sans doute commencé par se porter chez lui, et que sa femme n’aurait pas eu le temps de se soustraire à leur rage, il la voyait déjà victime de son dévouement pour lui, et tout son courage cédait à cette affreuse image.

Des courriers, partis en avant, répandirent bientôt la nouvelle inopinée du retour de Bonaparte. On le croyait suivi de toute son armée, et sa présence inattendue, en frappant de terreur les rebelles, ramena aussitôt l’ordre. Nous rentrâmes dans Milan sans rencontrer le moindre obstacle. Les attroupe-