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Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/226

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Le récit de ce bon vieillard m’inspira autant d’effroi qu’il en avait lui-même. J’étais venu dans l’intention de le supplier de me procurer le moyen de parler un seul instant à la signora Léonore, et maintenant je frémissais de la rencontrer. Je craignais de perdre la précieuse incertitude qui devait m’aider à tromper Gustave, et pourtant je ne pouvais me décider à quitter ce brave serviteur sans répondre à sa confiance par quelque marque d’intérêt pour sa maîtresse. Il s’obstinait à me demander s’il était vrai que mon maître fût venu le matin même pour assassiner Stephania. C’était le bruit que sa camérière avait répandu dans la maison, et que le docteur Corona avait confirmé, en donnant l’ordre exprès de renvoyer M. de Révanne, s’il osait se présenter chez madame Rughesi. J’avais beau justifier Gustave le mieux possible ; ma conscience se faisait jour à travers mon empressement à le défendre. Enfin ce pénible entretien fut interrompu par une voix de femme, qui appelait à grands cris Gherardi ; alors une terreur soudaine s’empara de moi, et je m’enfuis de la maison en frémissant d’apprendre la cause de ces cris.

Lorsque je fus dans la rue, je délibérai sur la réponse que j’allais rapporter à Gustave, et, après bien des hésitations, je m’en tins à lui dire simplement que M. Rughesi étant de retour, je n’avais pas insisté pour voir Léonore ; et puis, réfléchissant sur la nécessité de calmer son esprit par un charitable mensonge, je lui protestai que Stephania souffrait beaucoup moins ; et je me félicitai bien de cette supercherie en apprenant de lui toutes les extravagances qu’il se promettait de faire, s’il l’avait sue en danger. Il avait passé le temps où j’étais chez elle à lui écrire une grande lettre, remplie des expressions de son repentir, et il m’ordonna de la porter au docteur Corona, en le suppliant de la remettre lui-même à sa malade. Le docteur n’était pas chez lui ; je gardai la lettre, et je pris encore sur moi de dire que je la lui avais remise.

Le mensonge est comme ces poisons dont la prudente application peut quelquefois sauver la vie aux malades. C’est à celui que je me permis en cette circonstance que mon maître dut la force d’accomplir son devoir. Raffermi par l’idée de laisser Stephania mieux portante, et par l’espoir d’obtenir