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Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/274

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LV


De retour à l’état-major, Gustave trouva une ordonnance de son général, qui l’attendait pour lui remettre une lettre et se charger des instructions adressées à M. de Verseuil. Présumant bien ce que devait contenir cette lettre, il se retirait pour la lire sans témoins lorsque J… court après lui pour l’embrasser, et dit :

— On t’envoie défendre le passage de la Rocca di Garda ; mon ami, le poste est périlleux : c’est une galanterie de ton général qui te vaudra de l’avancement ou… tu m’entends, ajouta-t-il en faisant un geste fort significatif. Aussi, j’ai voulu t’embrasser avant le lever du rideau, car on ne sait pas comment finira le drame.

— Eh bien, quel que soit mon sort, répondit Gustave d’un ton solennel, promets-moi de défendre ma conduite ou ma mémoire contre ceux qui voudraient l’attaquer.

— De tout mon cœur, reprit J… en lui serrant la main ; je te jure de traiter comme un vil gredin tout homme qui oserait médire de ta bravoure et de tes sentiments.

Ils s’embrassèrent de nouveau, et chacun d’eux alla remplir sa mission glorieuse. Tout en conduisant sa troupe, Gustave décacheta la lettre qui pesait sur son sein, et il lut ce qui suit :


« Si la patrie ne réclamait aujourd’hui même votre sang et le mien, vous savez comment je punirais un infâme corrupteur, un ami perfide ; je dirais presque un fils ingrat. Oui, lorsque je vous accueillis dans ma maison, lorsque je vous appris la gloire ; lorsque, abusé par vos qualités apparentes, par les témoignages faux d’une amitié dévouée, je vous recommandai à la protection du général en chef, comme un père recommande son fils, j’étais loin de soupçonner que ce jeune homme, dont je vantais le courage et la loyauté, tramât la perte de ma femme et le déshonneur de ma famille. Il n’appartient qu’aux traîtres de prévoir la trahison, et vous auriez