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Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/28

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— Non certes, on n’a pas besoin d’écouter les amants pour savoir ce qu’ils se disent.

— C’est fort bien, quand ils sont d’accord ; mais le langage d’une femme qui résiste à son amant…

— Ressemble beaucoup au langage d’une femme qui lui cède, interrompis-je, et je n’en veux pour preuve que la conduite de votre cousine. Elle exige que vous cessiez de l’aimer ; eh bien, feignez pendant quelques jours de prendre cet ordre au pied de la lettre, de vous résigner de bonne grâce au sacrifice que la cruelle vous impose, et vous la verrez bientôt gémir de votre obéissance.

— Serait-il vrai ? s’écria Gustave, en quittant tout à coup son air sombre. D’honneur, tu es un garçon plein d’esprit, et je m’attache à toi chaque jour davantage ; avec tant d’éducation, il faut que tu aies éprouvé de grands malheurs pour l’obliger à servir ; mais je veux les réparer autant qu’il me sera possible : ma pension est fort au-dessus des dépenses que je puis faire ici, je sais que tu attends le paiement de tes gages pour les envoyer à ton père, je vais t’en remettre six mois d’avance pour que tu sois tranquille sur le sort de tes parents.

— Monsieur me comble de bontés, lui dis-je, ému de reconnaissance ; mais il ne fait pas réflexion qu’avant six mois je pourrais avoir le malheur de lui déplaire, et que, malgré toutes les probabilités qui répondent de la constance des femmes, ajoutai-je en riant, madame de Civray pourrait bien changer.

N’importe, je t’aurai dû la plus douce illusion de ma vie, celle de me croire aimé : et je défie toutes les trahisons du monde de me causer autant de peine que j’éprouve de plaisir en ce moment. Mais, instruis-moi de ce que je dois faire. D’abord, je ne la regarderai plus.

— Très-bien ; mais que ferez-vous de vos yeux ? car depuis longtemps je ne leur vois pas d’autre occupation que celle de la contempler.

— Je les fixerai sur notre vieille cousine, madame de Belrive, qui vient justement passer la journée ici avec toute sa famille.