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Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/300

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siasme pour son talent, et, d’un autre côté, je ne saurais lui parler comme à une nouvelle connaissance. J’ai déjà causé, pleuré avec elle ; ce qu’elle dit de mes défauts, mes faiblesses, mes peines, me semble autant d’aveux échappés à mon cœur, recueillis par le sien. Elle est pour moi une mystérieuse amie qui me devine, me répond, me gronde et me console. Après m’être habitué à cette douce intimité, je sens que ses regards indifférents, sa froide politesse me blesseraient comme un caprice en amitié. Cependant, je n’ai rien de mieux à prétendre.

— Croyez-moi, résignez-vous à cette innocente injure, et vous verrez bientôt la politesse que vous redoutez se changer en affection. Le signal de ce changement sera, je vous en préviens, une vive querelle, puisqu’elle prétend, avec raison, qu’on ne peut se fâcher contre d’autres que ceux qu’on aime.

— Eh bien donc, reprit Gustave, je braverai son dédain pour arriver à sa colère.

Par suite de cet entretien, que M. de Saumery raconta probablement à madame de Staël, Gustave en fut accueilli de la manière la plus flatteuse, et il reçut, deux jours après, une invitation pour dîner chez elle avec M. de Saumery.

Les convives étaient au nombre de vingt. Leurs hommages se partageaient entre la maîtresse de la maison et une jeune femme dont la beauté rivalisait avec l’esprit de madame de Staël, si bien qu’en écoutant l’une et regardant l’autre, on pouvait s’enivrer doublement. N’ayant point entendu annoncer les différents personnages qui entouraient la table, j’en fus réduit à deviner leur rang, leur nom, et même leurs opinions, au plus ou moins de déférences ou d’épigrammes dont on les honorait. Les brusqueries, les mots piquants étaient pour les anciens amis, qui ne manquaient pas de mettre alors toute leur artillerie en campagne pour répondre à ces vives attaques. Les questions flatteuses, les saillies brillantes s’adressaient aux nouveaux élus, et les encourageaient à entrer dans la lice. Tous disaient librement leur avis sans crainte de contrarier celui de la maîtresse de la maison, enfin, sans aucun de ces égards que l’on croit devoir à la faiblesse.

J’en citerai pour exemple la réponse que lui fit M. Th. de