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Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/321

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le bonheur, prêt à s’exiler de sa famille pour fuir l’aspect des larmes qu’il y fait répandre, et se préparer dans le désespoir de sa mère des remords éternels.

— Si je te parais si malheureux, pourquoi m’accables-tu ? dit Gustave, attendri par l’émotion qui m’oppressait ; pourquoi me reprocher une situation dont je ne puis sortir ? Penses-tu que si j’avais la force de m’affranchir du joug qui m’asservit, je n’irais pas à l’instant même me jeter aux pieds de ma mère, la conjurer de m’arracher à l’indigne puissance qui me rend coupable envers elle, envers tout ce que j’aime ; qui me livre déjà au malheur, au ridicule ; qui m’enlève jusqu’à ma propre estime : car tu sauras, ajouta-t-il, en me prenant le bras d’une main tremblante, que je n’ai plus moi-même l’illusion qui me soutenait… Mais qu’ai-je besoin de t’avouer la faiblesse qui me déshonore… ce fatal secret doit mourir avec moi…

Et il retomba sur le fauteuil qu’il venait de quitter. Alors, me précipitant à ses genoux, je le suppliai de me rendre sa confiance.

— Non, me répondit-il, j’ai besoin de ton estime, et je la perdrais aussi !

— Je vous en défie, repartis-je ; je puis vous blâmer, vous offenser, mais vous mésestimer, jamais !

— Quoi ! le lâche insensé qui, certain d’être trompé, n’ose briser sa chaîne ; qui sacrifie ses plus chères affections, sa dignité, son repos, à une passion humiliante qui n’a plus de l’amour que ses fureurs jalouses, ce misérable serait encore digne d’amitié ?

— Oui, m’écriai-je ; et ce ne sont pas là des malheurs qui déshonorent.

— Mais songe donc que je le sais… qu’à force de l’épier, je l’ai vue sortir de chez Alméric ; que, malgré l’évidence, elle a tout nié, et que j’ai feint de la croire !

— Ne vous y trompez pas ; il entrait dans cette aveugle indulgence moins de faiblesse que de générosité. Il fallait fermer les yeux ou livrer madame de Verseuil au mépris général. C’était la diffamer après l’avoir séduite, et vous avez préféré dévorer votre affront à publier sa honte. C’est l’action d’un