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Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/344

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gite, on pourrait la croire inanimée. Mais sa main tient celle d’Alfred ; Gustave s’en empare, les presse toutes deux, et dit avec cet accent qui implore :

— Chère Lydie, par grâce, regarde-moi ! qu’un seul moment je retrouve ma vie dans tes yeux ! Ne t’efforce pas de paraître insensible ; tu m’aimes encore, je le sais… je le sens ; et, si je n’ai pas toujours mérité le sentiment que tu me conserves, je défie d’égaler l’amour que tu m’inspires aujourd’hui.

Lydie fit un mouvement pour retirer sa main.

— Ne t’offense pas de cet amour, continue Gustave ; tu n’as rien à en craindre, c’est un culte sacré dû à ta constance, à tes vertus ; c’est l’hommage d’un malheureux qui a perdu tous ses droits sur ton cœur, qui ne doit plus te revoir, et qu’un indigne lien va priver pour jamais du bonheur d’être à toi. Chère Lydie, ne me refuse pas un dernier regard ; au nom de cet enfant qui s’endort sur ton sein, dis-moi adieu !

— Ah ! Gustave, vous êtes sans pitié, dit-elle d’une voix étouffée par les larmes. Après tant d’efforts pour vous cacher mon désespoir, ma faiblesse, faut-il que ce moment vous apprenne tout ce que j’ai souffert ! qu’aviez-vous besoin de savoir les regrets qui me tuent ?

— J’en avais besoin pour souffrir avec toi ; pour te venger, te consoler par mon supplice. Ne me reproche pas le bien qui comble mes douleurs. Songe que je t’aime, que tu m’appartiens, que cet enfant t’enchaînait éternellement à moi, et qu’un odieux serment m’arrache à tant de félicités ! Va, je suis assez puni ; n’ajoute rien à un tourment qui ne doit pas finir ? Vis pour cet Alfred que j’adore. Qu’il rassemble sur lui nos espérances, notre amour, enfin tout le bonheur que je t’ai dû, tout le bonheur que tu peux encore… Mais non ; tu dois m’oublier, me fuir… je te conduirais au déshonneur, à la mort… Je cause la perte de tout ce qui m’aime ; je suis un être maudit du ciel !

Et Gustave marchait vers la porte d’un air égaré, et comme poursuivi par un souvenir funèbre. Lydie, effrayée du sombre désespoir qui se peint dans ses regards, le rappelle, le fait asseoir à ses côtés, partage avec lui son doux fardeau, et laisse glisser la tête d’Alfred sur le bras de son père.

— Calme-toi, lui dit-elle, et résignons-nous à ton sort. Sois