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Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/87

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— Non, mais souvent il en triomphe.

— C’est ce qu’il ne faut jamais supposer ; car le soldat qui prévoit sa défaite est déjà vaincu.

— Ne croyez pas, général, qu’en vous témoignant ces diverses craintes, j’hésite à les braver ; non, mon parti est pris.

— Eh bien, s’il est vrai, donnez-moi votre parole et comptez sur la mienne. J’ai l’espoir d’un prochain commandement qui me permettra de tenter de grandes entreprises ; mais, pour en assurer le succès, il me faut de braves jeunes gens décidés à tout pour réussir. Voulez-vous en être ?

— De tout mon cœur, répondit Gustave en serrant la main du général, et vous pouvez dès ce moment me regarder comme étant sous vos ordres.

— Tant mieux, reprit B***, je vous recommanderai au général Berthier ; il fera de vous un excellent officier et la guerre se chargera du reste.

En ce moment, l’arrivée d’un courrier porteur des dépêches adressées par le général Hoche au directeur B*** interrompit toute conversation particulière. On ne s’occupa plus que des nouvelles de la Vendée. Après avoir fait la lecture d’une proclamation du général pacificateur, le citoyen B*** lut aussi les noms de quelques insurgés tombés au pouvoir des républicains. Ces noms rappelaient ceux de plusieurs émigrés ; et je ne redirai pas ce que l’esprit de vengeance dicta de propositions et de résolutions cruelles contre ces malheureux à des hommes qu’une semblable proscription pouvait atteindre d’un instant à l’autre. Mais si ma plume se refuse à rapporter des mots outrageant l’humanité, avec quel charme elle s’abandonne au plaisir de rappeler ces doux sentiments qui méritèrent aux femmes de cette époque le titre d’anges protecteurs ? Chacune de celles qu’avait réunies madame T*** aurait pu tout aussi-bien que maintes belles dames de nos jours demander la mort d’un ennemi ou se réjouir du supplice d’un malheureux ; mais, soit que la plupart des Françaises ne fussent point arrivées à ce haut degré de civilisation, soit qu’alors la générosité entrât dans les calculs de leur coquetterie, le noble dévouement qui les portait à tout braver pour rendre un époux à sa femme, un père à sa famille, des Français à la France,