Aller au contenu

Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le premier moment passé, Gustave s’appliqua à découvrir, dans toutes ces personnes, l’ami le plus intime du maître de la maison ; mais il n’y vit que des camarades de gloire ou de plaisir.

L’un d’eux, remarquable par une figure mélancolique dont le regard langoureux, contrastant avec le malin sourire, prévenait de ses divers talents pour la tragédie, la romance et l’épigramme, animait la conversation générale de traits vifs et piquants, mais parfois un peu libres. Il est vrai qu’entre hommes on croit souvent pouvoir se dispenser de métaphores, lorsqu’il s’agit d’un conte plaisant, ou de l’aventure d’une femme galante ; et cependant, la délicatesse des mots sert plutôt qu’elle ne nuit un piquant du récit.

M. Le Blanc, ami de M. Merval, paraissait mieux pénétré que lui de cette vérité. Sa gaieté spirituelle touchait à tout sans rien blesser. Véritable épicurien, exempt d’envie, de prétention, et même du désir de faire valoir ses avantages et ses talents, M. Le Blanc semblait n’avoir acquis tant d’instruction en tous genres que pour mieux s’amuser.

C’est à cette innocente passion qu’il sacrifiait son temps, son esprit, et sa fortune. Avec un tel caractère, on ne manque pas d’amis ; aussi était-il recherché de tous ceux qui aiment à rire. Une seule manie le faisait redouter, c’était celle des mystifications, il n’avait sur ce point rien de sacré ; et, avec l’aide de son ami Musson, il aurait mystifié tous les grands de la terre, s’ils lui avaient fait l’honneur de dîner chez lui. Mais, chacun des gens de sa connaissance ayant à peu près subi l’épreuve, il en était réduit à chercher dans la province ou dans une autre classe de la société des victimes nouvelles. À force de s’en occuper, il venait d’en découvrir deux qu’il destinait à divertir ce jour même ses amis dans un souper joyeux dont quelques demoiselles de l’Opéra étaient appelées à soutenir la gaieté.

Le général B*** avait promis d’en être, et Gustave, prié avec instance de l’accompagner, avait répondu à M. Le Blanc qu’il se faisait quelques scrupules d’accepter son invitation, car il connaissait M. Musson, et ne pourrait par conséquent le prendre pour l’ambassadeur Turc. Cette plaisante discrétion