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Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/97

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ayant demandé la cause à un de ses voisins, apprit que M. Merval, chargé du rôle de compère, avait feint d’être importuné des hommages qu’on rendait à cet étranger, et surtout de l’attention que lui prêtait mademoiselle Aubry.

— Y pensez-vous ? lui avait-il dit à haute voix, comme certain que ce musulman n’entendait pas le français ; on vous invite ici pour vous occuper de tous ceux qui vous admirent (son regard désignait, en disant ces mots, le général B***), et vous n’écoutez que ce Turc. Je ne sais pas ce qu’il a pour vous de si amusant ; pour moi, je le trouve triste comme un bonnet de coton.

— Bonnet dé coton ! s’était écrié Musson, comme si on l’eût assassiné, che mi dice bonnet dé coton, giaour var sikter ! Birbante, ti faro chiamarmi bonnet de coton !

Et sa colère augmentant à chaque fois qu’il redisait ce fatal nom, il voulait à toute force plonger son poignard dans le cœur de M. Merval ; tandis que M. Le Blanc, occupé à défendre son ami de la rage du prince ottoman, s’écriait de son côté :

— Malheureux ! tu as donc oublié tout ce que veut dire d’affreux ce mot de bonnet de coton en turc ?

— Eh ! non, je ne l’ai pas oublié, répondait Merval d’un air furieux, car je ne l’ai jamais su ; mais quand il voudrait dire animal, butor, menteur, assassin, je n’en rabattrais pas d’une syllabe, et je le répéterai jusqu’à la mort, ennuyeux comme un bonnet de coton.

À ce terrible mot, l’ambassadeur s’échappe des bras de ceux qui tentaient de le retenir, s’élance sur Merval ; et la pauvre mademoiselle Aubry, croyant déjà voir le sang couler, se met à fondre en larmes, pendant que plusieurs de ses compagnes s’évanouissent. C’est alors que le général, trouvant que la scène se prolongeait trop, dit avec impatience :

— Eh ! mademoiselle, comment ne voyez-vous pas qu’on vous mystifie ?

— Cette brusque sortie mit fin au proverbe ; on se rassit tranquillement ; et Musson, rendu à lui-même, n’en fut pas moins divertissant. Il raconta des histoires, et chanta des couplets dont le vin de Champagne animait les refrains ; on com-