Aller au contenu

Page:Nicolaï - La loi du Sud, 1946.djvu/39

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
37
LE FANTÔME MAL TUÉ

bossue je puisse rire, sourire, recevoir, sortir, jouer au tennis et, quand il pleut, sur les routes glissantes partir avec mon Amilcar et fuir, fuir droit devant moi, en hurlant une chanson pleine de mots de bonheur.

Ma vie bourgeonne comme une plante tardive.

Maman s’apprivoise et consent à rester plus longtemps.

Jean-Claude me regarde avec fierté :

— Vraiment, Françoise, je ne pouvais pas voir gaspiller de la beauté ; il y en a trop peu par le monde.

Seule Josette ne déronchonne pas. Elle a les yeux rouges de larmes qu’elle verse sans se cacher.

— Jalouse, ma vieille Josette ? Ton poupon a grandi…

— J’ai peur…

Comment peut-on avoir peur ? Que la vie est donc magnifique !

Maman va m’emmener à Paris. Je ne crains plus le monde, maintenant. J’ai acquis une grande aisance en vivant avec Jean-Claude et je me réjouis de penser aux théâtres que je n’ai jamais vus, aux dancings pleins de monde, aux fêtes brillantes dont j’entends parler.

J’imagine qu’on me trouvera belle, car je suis belle. Pour le reste, mon Dieu ! on dira peut-être :

— Françoise Rambaud, elle est bossue ? Vraiment, je ne m’en étais pas aperçu.

Le jour de notre départ est venu. Avant de faire mes malles, je veux dire adieu à tout cela qui a été le cadre unique de ma vie, à tout cela de romantique et de charmant dont la campagne conserve parfois comme des pudeurs. Mais c’est surtout le gros pommier que je veux revoir, car il me semble que je suis née là ce jour pas si lointain, il y a deux mois à peine, lorsque Jean-Claude m’a prédit la beauté. Le vieil arbre commence à perdre sa parure de mousse blanche. Je m’approche. Maman