Aller au contenu

Page:Nicolaï - La loi du Sud, 1946.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
65
L’OMBRE DE L’AMOUR

Qu’avez-vous fait de votre existence, de votre beauté ?… Cette beauté qui éclate avec tant de violence qu’on devine que bientôt elle vous abandonnera. Est-ce un homme qui a mis dans vos yeux cette nostalgie que vous tentez de voiler sous vos cils ?

Mais il n’osait dire à voix haute ces paroles qui brûlaient ses lèvres. Il avait peur que la réponse lui fit mal, éveillât en lui un regret sourd et vain.

Au lieu de cela, il parla de lui.

Il arrive toujours un moment où un être doit se confier, s’échapper du haut mur qu’il a bâti lui-même autour de ses pensées.

Un couple, non loin d’eux, s’embrassait. Il en prit prétexte.

— S’aiment-ils seulement ? dit-il, pensif. L’amour est chose si compliquée ? Il prend parfois des chemins hasardeux ; d’autres fois, il naît au premier regard. Après, on se demande si l’on a rencontré l’invisible voyageur dont on a attendu la visite. Moi, je le sais, j’ai aimé. J’aime. Je ne parle pas des aventures qui ont jonché ma vie. Je les ai oubliées.

Il fit une pause, puis reprit :

— Elle s’appelait Régine. La première fois que j’entendis prononcer son nom, j’avais vingt ans. J’étais allé en vacances chez un ami, un sculpteur. Lorsqu’il m’eut montré ses œuvres, il m’emmena dans le jardin, plein de chants de cigales, devant une statue qui se dressait au bord d’une pièce d’eau. Elle représentait une femme à peine voilée, offrant des hanches larges, une poitrine tendue, des jambes fuselées. On ne voyait pas son visage levé vers le ciel, qu’une chevelure aux lourdes boucles cachait à demi. Seule, la courbe exquise de sa joue disait sa jeunesse. Il y avait en elle une vie intense, un magnétisme presque douloureux. On avait envie de poser son front sur son sein et de se consoler d’on ne sait quelle peine, peut-être celle de vivre, simplement.

— Je voudrais la connaître, fis-je.