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Page:Nicolaï - La loi du Sud, 1946.djvu/91

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LES ENFANTS DU PÉCHÉ

prions chaque jour et nous vivons selon Dieu. Ce n’est pas possible, n’est-ce pas, que ce soit nous, nous seulement, qui soyons punis ?…

Le moine fit un grand geste de la main comme s’il tranchait leur destinée, puis il reprit sa route lentement, vers d’autres péchés.

Hanka revint.

— Voilà, voilà, pensait-elle. Voilà, c’est fini. Nous étions heureux et c’est fini.

Elle pensa au cochon qu’on tuerait pour Noël et ce cochon qu’elle engraissait avec fierté lui semblait une réalité à laquelle son bonheur pouvait encore s’accrocher. Mais à la fin du chemin qui était si long, le cochon lui semblait un bien faible espoir.

Dans le fournil, Gabor marchait de long en large, comme une bête tourmentée à l’approche de l’orage.

— Alors, alors ? dit-il.

— Alors, reprit-elle doucement, voilà…

Et elle lui répéta fidèlement les paroles du moine.

Il l’arrêta :

— As-tu compris ? cria-t-il avec une haine subite. Hanka avait compris, mais elle n’osa pas le dire. Gabor la regardait.

— Enfants du péché… Mains souillées de sang… Retranchés de leur peuple.

Les mots devenaient vivants. Et il voyait en elle l’être démoniaque qui l’entraînait en enfer, qui l’éloignait de Dieu. Peu à peu, la femme au visage tendre et aux yeux clairs, qui avait été sa joie, sa pauvre joie de pauvre homme, lui parut de flamme et de sang.

Alors il arracha le levier du four, et, d’un seul coup sur la nuque, assomma Hanka.

Le lendemain, les pains, les beaux pains dorés, étaient ronds comme ses mains meurtrières les avaient façonnés.