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Page:Niemcewicz - Notes sur ma captivité à Saint-Pétersbourg.djvu/101

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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS

et qui n’avaient pris les armes que pour se soustraire à l’usurpation, à l’oppression, à la tyrannie la plus atroce.

Cependant, malgré notre état de santé, malgré la rigueur de l’hiver, le major voulant au plus vite se débarrasser de son fardeau et jouir des délices de la capitale, hâtait, précipitait sa marche. Il nous faisait lever à quatre heures du matin, nous donnait une tasse de café, et nous emballait dans la voiture. Je n’oublierai jamais ces voyages nocturnes ; le chemin n’était éclairé que par la blancheur de la neige sur laquelle l’aurore boréale se réfléchissait quelquefois en un rouge de sang. Nous traversions des forêts immenses ; les ténèbres, un silence morne, enveloppaient la nature ; nos gardes dormaient ; nous seuls veillions plongés dans la tristesse, accablés de chagrins, de regrets et d’inquiétudes. De temps en temps, le bruit des branches de sapin, qui, surchargées du poids de la neige, se cassaient et tombaient avec fracas, éveillait le major ; alors, pour calmer sa frayeur et se rassoupir de nouveau, il ordonnait aux postillons de chanter. Il n’y a peut-être pas de peuple qui ait plus de disposition pour la musique et qui l’aime autant que les Russes. Rien de plus mélancolique, de plus touchant que leurs airs et l’expression avec laquelle ils les chantent : il semblait que leur esclavage, le malheur de leur