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Page:Niemcewicz - Notes sur ma captivité à Saint-Pétersbourg.djvu/145

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COMPAGNONS DE CAPTIVITÉ.

et qu’on ne nous plaçât loin l’un de l’autre. Pour ne pas courir ce risque, Mostowski demanda à Makarow la permission d’envoyer ses livres aux autres prisonniers, et d’avoir en retour l’usage des leurs. Makarow y consentit, mais il donna ordre à l’officier d’examiner, feuille par feuille, chaque livre envoyé ou rendu, pour voir si les prisonniers n’y avaient pas écrit quelque chose. En conséquence, un soir, le caporal vint me demander un livre ; je lui en donnai un. Au bout d’un quart d’heure, il me le rapporta, en me disant qu’il n’était pas bon, et qu’on en demandait un meilleur. Je compris ce que cela voulait dire ; je lui dis que je le chercherais. J’envoyai la garde pour me faire apporter de l’eau, et, prenant vite un peigne, j’écrivis avec sa dent sur le premier livre venu ces mots : « Je gémis ici depuis six semaines ; on m’a flatté et menacé tour à tour : je réponds sans bassesse. Quels sont les autres prisonniers ici ? J’ai perdu l’usage de ma main droite. On m’a enlevé tout mon argent. Donne un ducat au porteur : écris-moi avec précaution. Je t’embrasse de tout mon cœur. »

Je me suis bientôt convaincu que le ducat avait été donné, car le lendemain au soir, le caporal mé rapporta mon livre (c’était le Voyage de Vaillant), et j’y ai trouvé la feuille blanche avant le titre remplie, sans autre cérémonie, d’écriture,