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Page:Niemcewicz - Notes sur ma captivité à Saint-Pétersbourg.djvu/158

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COMPAGNONS DE CAPTIVITÉ.

danger à courir ; car cette imagination, qui nous amuse d’abord par la variété de ses rêves, de ses fantômes, se fixe bientôt, le plus souvent, sur une seule image, sur un seul objet favori, l’embellit, l’agrandit outre mesure, finit enfin par chasser de notre tête toute autre idée, et par égarer entièrement notre raison. Kapostas avait naturellement beaucoup de penchant pour la métaphysique et les sciences occultes ; il savait l’hébreu : les ouvrages des rabbins traitant de la cabale, ceux de Schepher et des Martinistes, lui avaient entièrement tourné la tête. Il était persuadé qu’en s’assujettissant à un certain genre de vie, en usant de certains aliments, en isolant sa pensée et son cœur de toute affection, de toute idée étrangère, et en combinant quelques versets de la Bible, pour faire ses évocations, il parviendrait à communiquer avec les esprits invisibles, à découvrir les secrets impénétrables au vulgaire, à se transporter dans les régions de l’empyrée, enfin à voir et à parler à l’auteur de l’univers. Tous les jours, au coucher du soleil, je l’entendais faire ses évocatiohs hébraïques, et, quoique les esprits ne lui répondissent pas, il croyait simplement avoir mal combiné ses versets de la Bible, et ne se rebutait jamais. Il avait encore une autre occupation bien plus utile : c’était celle d’apprendre à lire et à écrire à son domestique. Il lui ex-