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Page:Niemcewicz - Notes sur ma captivité à Saint-Pétersbourg.djvu/180

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vie de prison.

lorsque, absorbé dans mes rêveries, je veillais plus longtemps qu’à l’ordinaire, je crus entendre de loin des sons d’instruments à vent ; je pensais d’abord que c’était une illusion ; mais peu à peu ces sons parurent s’approcher et devenir plus distincts ; j’entendis enfin, tout près de moi, la sérénade de Don Juan, opéra qu’on donnait si souvent à Varsovie ; les sons s’éloignèrent ensuite par degrés, se perdirent entièrement, et tout retomba dans le silence. On peut se figurer les souvenirs que cette musique réveilla, les sensations qu’elle fit éprouver à un prisonnier qui, depuis près de deux ans, n’avait presque pas entendu de voix humaine.

Ma santé, assez robuste avant ce triste esclavage, se ressentait déjà fortement du manque d’air, du peu d’exercice et des chagrins que j’éprouvais. J’avais des accès de faiblesse et de vertiges, une sueur abondante couvrait tout mon corps, et des nausées continuelles étaient suivies par des torrents d’eau que je rendais. J’avais une fièvre et une soif continuelles ; je buvais sans cesse, ce qui augmentait encore mon mal et affaiblissait mon estomac. C’est à cette époque que je dois fixer le commencement de cette maladie cruelle, qui depuis a empoisonné tant de moments de ma vie, je veux dire la maladie des nerfs. Je demandai un médecin ; après bien des délais, on