Aller au contenu

Page:Niemcewicz - Notes sur ma captivité à Saint-Pétersbourg.djvu/194

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
169
ÉLARGISSEMENT.

Huit jours s’étaient déjà écoutés ; mes confidents me rapportaient, à tort et à travers, les grands changements que le nouveau souverain faisait dans l’administration, mais quant à notre sort, rien ne transpirait encore. Quoique la raison me dit qu’un prince, qui avait attendu avec tant d’impatience pendant plus de trente ans le moment de régner, devait avoir à songer à des choses bien plus importantes qu’à l’affaire de nous autres malheureux prisonniers, je ne laissais pas cependant d’éprouver un peu d’inquiétude.

Ce fut à cette époque-là qu’il me survint une querelle avec mon goujat de praporszczyk. La dernière fois que le médecin m’avait visité, il me prescrivit pour les faiblesses et les vertiges auxquels j’étais sujet, des gouttes blanches de Hoffman ; le petit flacon de ces gouttes fut remis au praporszczyk, je l’envoyai chercher, le caporal l’apporta, et après que j’en eus pris une dose, il voulut le reprendre ; je dis que je voulais le garder. « Le médecin a ordonné de ne pas le laisser entre vos mains, car c’est un poison. » — « Le médecin n’a pas pu dire une pareille chose, ou il n’est qu’une bête. » Bref, le caporal insiste pour ravoir le flacon, moi j’insiste sur mon refus ; il part enfin pour faire son rapport à l’officier, et aussitôt je vois entrer celui-ci dans une colère qui faisait que sa pâleur tirait, sur le bleu et le vert, et que ses