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Page:Niemcewicz - Notes sur ma captivité à Saint-Pétersbourg.djvu/215

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ÉLARGISSEMENT.

l’étiquette, nous nous mîmes tous en grand deuil : c’était un habit à trois boutons par devant, avec des pleureuses larges, selon les grades qu’on avait, des boucles noires, l’épée et le chapeau tendu de crêpe, point de poudre dans les cheveux. Dans cet équipage, nous ne ressemblions pas mal à des ramoneurs. Naguère traité de criminel, me voilà tout à coup à la cour, en présence des deux souverains : l’un mort, étendu sur un lit de parade et encore entouré de toute la pompe impériale ; l’autre exerçant le pouvoir suprême dans toute sa plénitude. L’aspect de cette cour me parut encore plus bizarre qu’imposant ; il offrait le singulier assemblage de représentants et de costumes les plus divers des peuples nombreux soumis au sceptre russe. Ici, des gentilshommes de la chambre, malgré leur deuil, élégants, lestes, et avec toute la tournure des marquis de Molière ; là, un métropolitain avec sa barbe longue , d’un gris pommelé, ses habits grecs, son bonnet haut, son étole et sa croix. — Quelle est cette figure basanée, avec des moustaches et une barbe noire, un cafetan, des culottes larges et des pantoufles en maroquin jaune ? C’est un Tartare de la Crimée. — Et ces deux jeunes gens la tête rasée, la ceinture riche autour du corps ? C’est un Géorgien et un Circassien. — Et plus loin, ce groupe de monstres difformes, avec des petits trous dans la tête