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Page:Niemcewicz - Notes sur ma captivité à Saint-Pétersbourg.djvu/231

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ÉLARGISSEMENT.

générale, et on se croyait dans une ville assiégée, où une bombe peut tomber sans distinction sur la tête de chacun. On n’osait plus se parler ; c’était au point que même en voiture nous ne faisions que chuchoter, de peur du cocher.

Toutes les fois que je traversais les quais et que je découvrais, de l’autre côté de la Newa, les bastions de la forteresse où j’avais gémi si longtemps, j’éprouvais un mouvement d’horreur qui me faisait détourner les yeux. Cependant la reconnaissance, autant que la justice, m’oblige d’ajouter que ces craintes, ces alarmes, résultats du despotisme, existaient au même degré sous le règne précédent, excepté que Catherine mettait dans sa tyrannie une hypocrisie que son fils ne connaissait pas. C’est notre tempérament qui fait peut-être nos vertus et nos vices : les ressorts du sien, longtemps comprimés par la crainte, se déployèrent avec violence, aussitôt que la force de la compression ne les retenait plus. L’empereur Paul est emporté, mais je ne le crois pas méchant ; pénétré du principe que les peuples sont la propriété des souverains, qu’ils doivent obéir aveuglément à tous ses caprices, la moindre contradiction est à ses yeux un crime impardonnable , et il n’est alors d’excès auquel il ne soit capable de se porter ; point de réflexion, point de milieu ni dans ses faveurs ni dans sa colère. Il enverra Suwarow